mercredi 9 décembre 2009

La tête dans les jupons

........................ Ballet de nuages dans les Canaries ........................

Ce que savent les météorologues et que j'ai encore parfois du mal à me représenter: ce n'est pas le vent de surface qui donne la direction du déplacement des dépressions et des anticyclones - il ne fait que tourner en rond. Il faut s'élever 10 km au dessus des tourbillons, au niveau des jet streams, pour comprendre le sens de la dérive des masses d'air et savoir ce qui nous attend.

Imaginons une fourmi égarée dans un bal champêtre qui voit passer au dessus de sa tête des danseuses vêtues de larges robes bouffantes. Elles font une ronde tout en tournoyant sur elles-mêmes. Soudain, une porte s'ouvre. Un courant d'air glacial traverse le groupe, dispersant l'atmosphère chaude et humide qui s'embrume aussitôt. C'est ce que valent nos observations.

Pour décrire les phénomènes météorologiques, quelques connaissances de chorégraphie ne seraient pas de trop.

Si le terrien s'est fait une spécialité de foncer dans les lignes droites, le marin gagne à se familiariser avec les tourbillons et à ne pas être pressé.

jeudi 3 décembre 2009

Météosat


Danseurs majestueux
Les cyclones traversent l'océan
Par groupes de deux ou trois

Leurs chapeaux sont ornés
De grands panaches de vapeur

Barbes rouges - front chaud
Plume bleue constellée de blanc - traîne froide
Boucle violette - occlusion immobile

lundi 30 novembre 2009

Et pour le faire, et pour le dire

.......... Captaingils en pêcheur de requin (3e en part. de la g.) ...........

Si seulement j'avais la verve de Captaingils pour conter mes déboires! Il en faut du courage. Il en faut même deux fois: et pour le faire, et pour le dire. Les voies d'eau de l'Atao sont dignes d'une épopée: j'imagine Captaingils aux prises avec l'hydre, dix jours durant, comptant les seaux d'eau qu'il sort de la cale inondée - jusqu'à "150 litres par heure!" - à 500 milles des côtes, sans radio, sans radeau, sans rien. Et savez-vous le plus beau? La veille de son départ, il coulait déjà...

D'où lui vient ce courage insensé? Ce mélange de résignation et de ténacité, son fatalisme héroïque? Captaingils et l'Atao, c'est l'Africa Queen sauvé des eaux par Boudu en personne; une double surrection.

Captaingils est un galérien-poète, un Job heureux doublé d'un excellent photographe et d'un marin au moral insubmersible, pugnace et blasphémateur.

Honneur, gloire et longue vie au Captaingils!

Palpitant, le récit du voyage de Captaingils au Cap Vert se trouve sur: captaingils.blogspot.com

26 mars 2010 - mise à jour

Après quatre mois en France, le capitaine vient de reprendre son blog. Entre temps, il a perdu son chien, qu'en son absence il avait confié à un ami capverdien. Les cris de douleur que lui arrachent la disparition de son petit ami sont dignes de Raspoutine - "je hais la vie! je hais la mort!" - de la vraie prose de pirate: "croyant me faire plaisir, ils ont planté une croix sur sa tombe, les imbéciles!"

vendredi 6 novembre 2009

EX VOTO


Éric, qu'autrefois nous surnommions "le petit matelot",
Parce qu'il portait des débardeurs et des t-shirts à rayures
Bleues et blanches - Jean-Paul Gaultier avant l'heure -
Est devenu le premier électricien du bord.
Une fois réglés le GPS, la VHF, le loch, la sonde et le tableau,
Il a même trouvé le temps de m'inculquer
Les bases: la soudure à l'étain, l'ohmmètre,
La gaine thermo et le pistolet à colle.
Ce dizain fêlé, claudiquant et asymétrique
En gage de reconnaissance et d'amitié, Éric!

lundi 2 novembre 2009

Il y a mollusque et mollusque

A l'heure de l'apéritif, le patron du Baratin nous sert des "faux" encornets frits, en insistant sur "faux". Curieuse notion quand on sait que l'encornet est lui-même un prête-nom du calamar (à moins que ce ne soit l'inverse).

A qui se fier pour distinguer le vrai du faux encornet? Respectueux des usages, les taxinomistes ont choisi de s'exprimer en latin pour ne froisser personne. Leur science, qui traite des différences entre les espèces, repose sur des bases mouvantes. C'est particulièrement vrai du règne sous-marin, dont les sujets possèdent un goût presque baroque pour la variation ad infinitum.

Dans ces conditions, on comprend mieux l'urgence, pour le pêcheur et le patron de café, de mettre un peu d'ordre chez les mollusques.

samedi 31 octobre 2009

Mon plus beau moment de voile


C'était au cours d'un stage des Glénans, à Paimpol, en novembre 1999. Sortis par Force 7, nous nous étions fait bastonner toute la matinée et le chef de bord venait de nous donner le signal du retour. Après l'île St-Rion, le vent s'est un peu calmé; nous n'étions cependant pas au bout de nos peines. Mal réglé, mal barré, notre bateau - un 28 pieds - se couchait dans l'eau sans jamais prendre de vitesse. Nous étions pathétiques.

C'est alors que nous avons croisé un petit dériveur, un quatre-vingt, avec à son bord un vieil homme et un enfant de 10 ans. Pour toute voilure, un tourmentin pas plus grand qu'une carte SHOM. Minuscule, le bateau gîtait à peine. Assis aux pieds de son grand-père, l'enfant nous a adressé un grand sourire. Les rochers menaçaient, le vent hurlait, la marée était contre nous, les embruns nous fouettaient le visage. Au milieu de ce chaos, le vieil homme barrait sa frêle embarcation d'une main sûre et légère, impassible, olympien, se jouant de la houle comme un oiseau planeur.

Je me souviens encore d'avoir pensé qu'à cet instant précis, la concentration du vieux marin était sans doute le seul point fixe de la baie de Paimpol. Quant à la mer qui menaçait de nous engloutir, sous le regard d'un tel navigateur, elle aurait aussi bien pu n'être qu'une illusion.

Où l'on fête le mollusque à sang bleu

.............................. Place de l'Hôtel de Ville ................................

C'est la fête du poulpe à Sète (on dit pieuvre à Jersey, mais on ne la fête pas). L' Octopus vulgaris est servi à toutes les sauces: en aïoli, à la catalane, en ragoût. J'ai tout essayé; c'était exquis. Les tentacules émergeaient des marmites comme des bouquets de fleurs séchées d'une jardinière fumante. J'en ai profité pour prendre quelques renseignements.

Doté d'un appétit féroce, le poulpe double de poids tous les trois mois. Si on ne le mange pas au mois d'octobre, il y a de bonnes chances qu'il nous mange au mois de juin.

Plus il est petit, plus son oeil parait immense. C'est l'encornet (Loligo vulgaris), qui a proportionnellement le plus gros oeil de toute le règne animal (St Thomas d'Aquin affirme qu'à l'image de sa perspicacité, l'oeil de Dieu est infiniment grand, mais je ne sache pas que son calcul s'applique à l'encornet).

Finalement, la pêche à l'encornet se pratique avec un appât et forme de chaussette fluorescente hérissée de clous, qu'on appelle une turlute (pour le coup, je n'ai pas demandé de précisions).

dimanche 18 octobre 2009

Brochettes de scolopendres

A peine rentrés au port, Thomas et Gabriel se sont précipités sur la boite d'appâts frais achetée le matin même: des scolopendres chinois, d'un beau rouge écarlate. Après plusieurs essais infructueux, un pêcheur leur a montré le truc: d'abord, décapiter le monstre (dont les morsures peuvent être douloureuses), puis l'empaler à l'aide d'un cure-dents avant de l'enfiler sur l'hameçon. Les dorades en raffolent.  Ce jour là, pourtant, point de poisson, mais des heures insouciantes passés à torturer des chilopodes.

samedi 17 octobre 2009

Les bateaux des autres


Fascinants, les bateaux des autres. Celui-ci vient de Rotterdam. Il est amarré quai du Pavois d'Or. J'ai dénombré sept antennes différentes. Avec son taud en aluminium, ses écrans solaires et tous les appareils qui encombrent le pont (générateur, désalinisateur, bidons et bonbonnes de service), il a réussi à se créer un univers aussi hermétiquement clos qu'un laboratoire high-tech. Toutes noires, les drisses ressemblent à des câbles électriques. Je l'imagine barrant à l'aide de moniteurs CCTV, de radars et de logiciels de navigation tout en jouant à Super Mario.

Quant à Thomas, il a jeté son dévolu sur cette nacelle traditionnelle. "C'est un bateau comme ça que je voudrais". Je pensais que le bateau du cyborg aurait plus de chances de lui plaire, mais la technologie lui importe peu: en bon pêcheur, c'est ce qu'il y a sous l'eau qui l'intéresse, pas ce qui flotte dessus.

Engoulfés

................ On était pourtant bien, à Balaruc-les-Bains! ..................

Nous avons choisi un début de tramontane pour notre première sortie en famille dans le golfe du Lion. Sur l'étang, rien ne laissait présager une mer agitée, sauf peut-etre ces cumulus aplatis, signes de forts vents à basse altitude. Autre signe, qui sans nous venir du ciel était tout aussi éloquent: nous n'étions que deux à attendre l'ouverture des ponts à la Pointe Courte. Notre voisin était un Pogo 8,50 de la base des Glénans de Marseillan. Dès que nous avons passé le môle St Louis, le vent s'est établi à F5. Fraichissant, fraichissant... 1 ris sur la grand voile. 2 heures à tirer des bords sous les murs de Sète, adossés aux filières, harnachés, engoncés dans nos brassières, Gabriel la tête collée contre le ventre de Susanna, Thomas survolté, les yeux rivés sur les mouettes qui nous font cortège. Le Mont St Clair n'offre qu'une protection illusoire: les rafales semblent l'utiliser comme un tobogan pour gagner de la vitesse. Une fois n'est pas coutume, la voilure est mal équilibrée; le bateau gîte & lofe fortement à chaque rafale, la barre est dure. La Ferrari de Fadi me revient à l'esprit. Je remets indéfiniment la prise du second ris - crétin que je suis - jusqu'à ce qu'arrivés devant la passe Est, nous décidions de rentrer au port.

Apéritif au Baratin. Après avoir descendu quatre verres de vin blanc, accompagnés de petits anchois frits, départ un peu échevelé du quai d'Alger pour ne pas rater l'ouverture des ponts: en larguant les amarres, nous avons failli larguer Susanna.

Une grand voile sans ris, sans rire

.............. Le Grand Raymond confectionne un messager ....................

Nous sommes attablés dans la cuisine de Raymond et Eliane Col, nos hôtes sur l'étang de Thau. Il y a là également un ami, président d'un club de voile voisin. Je leur décris le piteux état de notre grand-voile.

- Il vous en faut une nouvelle - on va vous arranger ça - avec une ralingue, cette fois, surtout pas de coulisseaux!
- Si vous le dites...
- Ça casse tout le temps, les coulisseaux!
- C'est bien vrai!
- Avec une ralingue, vous n'aurez plus de problèmes. Bien sûr, il faudra ranger la voile après chaque sortie...
- Ah?
- Et vous ne pourrez plus prendre de ris.
- Pas de ris?!
- Eh non! Avec la ralingue, on ne prend pas de ris.

Et s'adressant à son ami:

- Il faut être combien pour régater un First Class 10?

Il se tourne vers la baie vitrée et soupèse Ava du regard, mesurant les espars.

- Au moins quatre.
- Ouais - voire cinq. Cinq c'est mieux, conclut le maître de maison, qui se voulant rassurant, m'assène, en guise de conclusion:
- A cinq, plus besoin de prendre un ris.

Je pense aux 35 kg de Thomas et Gabriel, à la diète de Susanna... Il nous manque au moins 250 kg de lest! Au diable les choux de Bruxelles: il va falloir se mettre au shish kebab.

Propriétaire d'un chantier naval à Balaruc-les-Bains, Raymond Col est également le père de Sébastien Col, plusieurs fois champion du monde de Match Racing, vétéran de l'America's Cup et l'un des meilleurs régatiers français du moment. C'est dans les ateliers du père, une légende locale, que furent réglés, pendant de longues années, les bolides du fils. Alors évidemment, les ris de grand-voile...

Avis aux fâcheux

..................................... Quai de la Dorade ....................................

Il y a foule en face de la Pointe Courte. C'est le premier jour de tramontane de l'automne et les dorades qui ont frayé tout l'été dans l'étang vont profiter du reflux pour prendre le chemin du large. Dès 8h du matin, tout Sète est sur les quais. Il y a ceux qui pêchent et ceux qui sont venus pour le spectacle. Les lignes s'emmêlent, les invectives fusent: "Assassin! Assassin!". Coté pêcheurs, personne ne rit.

L'humour sétois consiste à laisser croire qu'on en est totalement dépourvu, le plus longtemps possible. Le premier qui se fâche pour de bon a perdu.

vendredi 16 octobre 2009

Tramontane

............................. Le Barrou au crépuscule ..................................

Elle a soufflé cinq jours d'affilée. Signes du temps à venir: crépuscule rougeoyant et altocumulus lenticulaires stationnés au-dessus des Pyrénées. Deux jours plus tard, dans le golfe du Lion, Sir Francis a atteint le neuvième degré de l'échelle qui porte son nom. Yikes!

Pour peu que la tramontane, qui souffle généralement du N-NO, ait une composante Est, les Sètois l'appellent mistral.

Une fois le régime de tramontane bien établi, le ciel se dégage - plus un nuage à l'horizon. C'est le fameux "bleu d'hiver" de Sète. Similaire au "bleu mistral", il tient généralement plus longtemps.

De l'avis général, la tramontane est navigable à condition de ne pas trop s'éloigner des côtes. Beaucoup plus inquiétant, le marin, qui vient du sud, s'accompagne d'une forte houle qui rend l'entrée des ports du Roussillon extrêmement périlleuse.

Et puis il y a le grec - vent d'est - qui avec ses nuages de pluie colle à la côte comme une véritable poisse et que tout le monde maudit.

mardi 15 septembre 2009

Où sont passés les blancs bateaux?

...................................... La Pointe Courte .......................................

Autant le port de Corbières, à Marseille, ressemble à un showroom avec ses gelcoats blancs immaculés, étincellants, autant les quais de Sète font penser à une fête foraine. Aucun bateau ne ressemble au suivant - l'esprit de la roulotte règne sur les flots. Carènes multicolores, pots de fleur suspendus aux balcons, filières encombrées d'appareils électroménagers, animaux domestiques: quand on ne vit pas sur son bateau, on y reçoit ses amis à l'heure de l'apéritif. Jardin, salon, caravane, garderie, terrasse: le bateau tient lieu de tout ça à la fois. Chaque détail doit refléter la personnalité du propriétaire. Comparées aux quais de Sète, les marinas modernes ont autant de charme qu'un catalogue de nouveautés imprimé sur papier glacé.

"Contar no es cantar"

............................... Saintes-Maries-de-la-Mer .................................

Vue du large, la côte camarguaise semble vaguement tropicale avec ses haies de roseaux, ses eaux tourbeuses et ses flopées d'échassiers. On pourrait se croire en Uruguay.

35 miles séparent l'embouchure du Grand Rhone de la pointe de l'Espiguette. Le clocher de l'église de Stes-Maries-de-la-Mer se dresse pile poil au milieu, aussi précis que la pointe d'un compas. Protégée par une grille en fer forgé, la porte de la crypte reste ouverte toute la nuit; en bas des escaliers, des bougies rouges projettent leurs lueurs vascillantes aux pieds de Sara la Noire, la sainte patronne des Gitans.

A l'extérieur, des joueurs de rumba gitana égrènent le répertoire des frères Baliardos et Reyes. Seuls les Américains et quelques locaux applaudissent. Pourquoi les Gipsy Kings, originaires d'Arles et Montpellier, ont-ils eu si peu de succès dans leur pays natal? "Porque al Frances le gusta hablar, no le gusta ni bailar ni cantar. Francia es el paìs del cansionista , no del cantante. Fijate los dos mas grandes cantantes franceses del siglo passado: Brel era Belga, y Brassens ni siquiera cantaba!" A ne pas laisser tomber dans l'oreille d'un Sétois.

vendredi 11 septembre 2009

Matelots - Pascal

Le jour de la mise à l'eau, nous avons tiré des bords tous les deux pendant toute une après-midi. C'était un lendemain de coup de vent. Bonne brise de secteur S-SE: 1 ris sur la grand voile, inter à l'avant. Les moutons s'affolent sous le vent de l'île du Frioul et disparaissent à mesure que nous nous rapprochons de la côte. Sur-toilé, le bateau se couche pour laisser passer les rafales, puis bondit hors de l'eau, comme au rodéo. Peu loquace mais souriant, fort comme un bœuf, parfaitement détendu, Pascal se régale. "J'ai toujours rêvé de faire de la voile dans la rade de Marseille" me confie-t-il. Ava vient d'exaucer un premier vœux.

Matelots - Jean-Marc

Il a parfois du mal à se rendre utile mais il est tellement drôle que ça n'a aucune importance. Il imite Olivier appelant la commune pour leur annoncer qu'il va prendre un jour de congé supplémentaire: "Allo, ici Lambert, ça va pas être possible..." Dix fois par jour. Nous en pleurons de rire.

En plein pétole, à 6 miles de la côte camarguaise, il enfile un maillot de bain, plonge dans l'eau et se met à nager en direction du large. Dix minutes plus tard, il remonte à bord comme si de rien n'était. Il nage tellement bien que j'en ai le souffle coupé. Je demande à Olivier par quel miracle... Avant d'etre apiculteur, Jean-Marc était maitre-nageur.

Matelots - Olivier


Tendu comme un hauban de kevlar, il est partout à la fois. Il n'est jamais besoin de lui demander quoique ce soit: il l'a déjà fait. Il veut tout apprendre, tout comprendre, tout régler, et lorsqu'il n'y a plus rien à faire, cet hyperactif dort comme un bébé, bercé par le ronron du Yanmar.

Sète!

On dit que Sète, qu'autrefois on orthographiait Cète, doit son nom au Mont St-Clair dont la forme arrondie évoque la bosse dorsale des cétacés.

Au cours de la 292e nuit, Shéhérazade raconte comment Sindbad, lors de son premier voyage, accosta sur le dos d'une baleine gigantesque, pensant que c'était une île.

Nous sommes arrivés le lundi 7 septembre, après avoir fait escale à Stes-Maries-de-la-Mer. Heureux comme Sindbad, nous avons accosté quai d'Alger sur le coup de 3 heures. Il faut dire que par petit vent, Ava file à la surface de l'eau avec la célérité presque surnaturelle d'un tapis volant.

Pour ne pas se perdre dans la quincaillerie

Je dois faire changer les boulons de quille, or je n'y entends rien.

Un goujon est une tige filetée aux deux extrémités. Une vis est une tige filetée dotée d'une tête. Il y a des têtes plates, des têtes hexagonales, des têtes rondes et des têtes fraisées, qui sont comme des chapeaux chinois inversés. Un écrou est un anneau hexagonal percé. On filète les vis et les goujons et on taraude les écrous. Le boulon est l'ensemble formé par une vis et un écrou de même diamètre et de même filetage.

Deux têtes - et deux consonnes - l'une amovible et l'autre non, distinguent le boulon du goujon. Dans le monde des vis et des goujons, la disqueuse remplace la guillotine, la taraudeuse et la fileteuse le dentiste et le peigne fin, le WD40 l'après-rasage et la rouille, la variole et l'eczéma.

Maintenant, tout est clair.

15/12/2009 Les boulons de quilles - suite et fin

C'est fait. Ils ont été remplacés. Il n'a pas fallu déquiller. La rouille était superficielle. L'ancien propriétaire a réglé la moitié de la facture, comme il s'était engagé à le faire. Il n'y a plus de problème de boulons de quille. Il n'y a jamais eu de problème de boulons de quille.

Amen

Et un esprit malicieux de me souffler à l'oreille: "c'est que le problème est ailleurs..."

mercredi 9 septembre 2009

221, 535, 981

221 milles séparent notre ponton sur l'étang de Thau de la maison de Robert Graves, à Deia, sur l'ile de Majorque. Nous sommes à 535 milles du palais arabo-normand - une conjonction irrésistible pour un Shetlandais - de Roger ii dit "Le Guiscard", à Palerme. Le jardin du vieux Laerte, sur l'ile d'Ithaque, se trouve à 981 milles. Soit 2, 5 ou 10 jours de navigation. De quoi remonter le cours du temps ou faire des exercices de trigonométrie en attendant des nouvelles de nos boulons de quille.

Un expert en désillusions

Derrière le sourire débonnaire de Fadi se cache un détracteur redoutable: son sens aigu des responsabilités l'amène à dire à son client tout ce qu'il n'a pas envie d'entendre. L'expert mandaté par le précédent propriétaire n'avait pas relevé la présence de rouille sur les boulons de quille: "un rapport de complaisance..." me souffle-t-il. Pourquoi n'ai-je pas eu cette chance?

Il semble que je sois destiné à toujours tomber sur des Fadi, et c'est sans doute mieux comme ça. Le plus curieux est qu'après avoir entendu toutes ses explications, il me suffit généralement de quelques minutes pour me convaincre, grâce à mon optimisme irréductible, que ce n'est pas si grave et que tout finira par s'arranger... A tous ses arguments d'expert, aussi fondés soient-ils, je trouve des contre-arguments, tout aussi recevables: la raison est tellement prévisible. Tout dialecticien que je sois, la foi est pour moi une source de certitudes bien plus tenaces que la science, qui ne fait qu'effleurer le surface des choses. C'est sans doute de la faute des Jésuites...

La où la science se sent moralement obligée d'envisager le pire, la foi accède sans effort - et sans choisir! - au meilleur des mondes.

Je ne nie pas l'existence des boulons rouillés. Je ne minimise pas l'inquiétude qu'ils me causent. Je sais seulement que rouille ou pas rouille, nous étions faits pour naviguer ensemble. C'est terrible, parfois, de ne pas douter...

L'éducation sentimentale #2

............................. Port de Corbières, l'Estaque ..............................

L'heure est-elle au désenchantement? L'expert maritime cherche à me convaincre que le bateau est bien trop sportif, trop puissant pour faire de la voile en famille. "Vous vous rendez bien compte de ce que vous achetez? C'est une Ferrari!" Pour couronner le tout: il y a de la rouille sur les boulons de quille.

Après mûre délibération, je finis par me convaincre que Fadi, un personnage au demeurant fort sympathique, ne charge son réquisitoire que parce qu'il préfère les bateaux un peu plus confortables et un peu moins guerriers. Au terme d'une petite enquête, j'apprends que sa femme déteste la voile: tout s'explique ! Elle préférerait sans doute traverser la rade de Marseille à la nage qu'embarquer sur un First Class 10.

En attendant le devis du chantier naval pour la remise en état des boulons de quille, foi et raison se livrent en mon for intérieur un combat sans merci.

vendredi 21 août 2009

Calculs sur bers

...................................... Ava: la carène ........................................

A sec comme à flot, naviguer c'est prévoir. A mouiller n'importe où, on risque de perdre une ancre, quand ce n'est pas beaucoup plus. A hiverner chez n'importe qui, on s'expose à recevoir une note salée: le prix d'une ancre, tous les mois, quand ce n'est pas beaucoup plus. Adieu l'Estaque! Les conditions sont meilleures dans le golfe du Lion. J'en sais quelque chose: j'ai appelé tous les numéros des deux Pilotes Cotiers, pour finir à Sète, sur l'étang de Thau, très précisément.

jeudi 20 août 2009

L'angoisse de l'écrevisse au moment du court-bouillon

.......................... Au commencement était la lande ..........................

Aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours rêvé de la mer Méditerranée. Enfant, j'attrapais chaque été des coups de soleil dans le Shropshire et sur la côte basque, entre deux averses, tout en rêvant de la Méditerranée. Celle des calanques de Rébuffat, celle qu'on devine au loin dans les romans de Pagnol, la mer d'Ulysse et Polyphème. Mais pour mon plus grand malheur - je me suis longtemps révolté contre mon sort - ma peau est blanche et couverte de taches de rousseur comme un bol de lait saupoudré de chicorée. Autant dire que je ne suis pas fait pour affronter les rayons délétères des mers ensoleillés; les étés pluvieux de la Cornouaille ou de la baie de Biscay me conviennent beaucoup mieux. Combien de fois, avant de m'exposer au soleil du Midi, ai-je ressenti l'angoisse de l'écrevisse au moment du court-bouillon? Mais rien, pas même un gène récessif, fut-il dans notre famille depuis trente-six générations (si l'on veut remonter jusqu'à la colonisation des Iles Shetland par les Norvégiens), n'a pu m'empêcher, au fil des années, de me rapprocher de la mer tant désirée, tout diaphane que j'étais.

Pour finir, j'ai épousé une Italienne, or Susanna et moi sommes assortis comme une pinte de bière rousse et un verre de Fernet-Branca. Nos enfants lui ressemblent; on me dit même parfois, non sans malice, qu'ils n'ont rien pris de moi: beati loro! Lorsque je les regarde jouer au soleil, sans jamais même se soucier du soleil, j'ai conscience de leur avoir fait un beau cadeau en choisissant leur maman, un cadeau comme seuls savent en faire les parents: de ceux qui ne se remarquent même pas. Si j'avais épousé une Shetlandaise ou toute autre beauté au teint de porcelaine, nous aurions eu des enfants en pâte de verre: le soleil de la Méditerranée serait passé à travers.

Un jour, dans quelques générations peut-être, un enfant roux naîtra qui portera en lui ce gène qui a tant contribué à me gâcher les vacances. Je lui souhaite de trouver le bonheur dans le demi-jour perpétuel de la lande écossaise.

L'éducation sentimentale

....................................... Ava: le carré ........................................

Lorsque nous avons vu le bateau pour la première fois, nous n'avions d'yeux que pour la pureté de ses lignes, le parfait état de la coque, son gréement sportif, le design du carré, etc... Depuis que nous avons signé l'acte de vente, je me répète cent fois par jour: "un si beau bateau, à un si bon prix!"