samedi 31 octobre 2009

Mon plus beau moment de voile


C'était au cours d'un stage des Glénans, à Paimpol, en novembre 1999. Sortis par Force 7, nous nous étions fait bastonner toute la matinée et le chef de bord venait de nous donner le signal du retour. Après l'île St-Rion, le vent s'est un peu calmé; nous n'étions cependant pas au bout de nos peines. Mal réglé, mal barré, notre bateau - un 28 pieds - se couchait dans l'eau sans jamais prendre de vitesse. Nous étions pathétiques.

C'est alors que nous avons croisé un petit dériveur, un quatre-vingt, avec à son bord un vieil homme et un enfant de 10 ans. Pour toute voilure, un tourmentin pas plus grand qu'une carte SHOM. Minuscule, le bateau gîtait à peine. Assis aux pieds de son grand-père, l'enfant nous a adressé un grand sourire. Les rochers menaçaient, le vent hurlait, la marée était contre nous, les embruns nous fouettaient le visage. Au milieu de ce chaos, le vieil homme barrait sa frêle embarcation d'une main sûre et légère, impassible, olympien, se jouant de la houle comme un oiseau planeur.

Je me souviens encore d'avoir pensé qu'à cet instant précis, la concentration du vieux marin était sans doute le seul point fixe de la baie de Paimpol. Quant à la mer qui menaçait de nous engloutir, sous le regard d'un tel navigateur, elle aurait aussi bien pu n'être qu'une illusion.

Où l'on fête le mollusque à sang bleu

.............................. Place de l'Hôtel de Ville ................................

C'est la fête du poulpe à Sète (on dit pieuvre à Jersey, mais on ne la fête pas). L' Octopus vulgaris est servi à toutes les sauces: en aïoli, à la catalane, en ragoût. J'ai tout essayé; c'était exquis. Les tentacules émergeaient des marmites comme des bouquets de fleurs séchées d'une jardinière fumante. J'en ai profité pour prendre quelques renseignements.

Doté d'un appétit féroce, le poulpe double de poids tous les trois mois. Si on ne le mange pas au mois d'octobre, il y a de bonnes chances qu'il nous mange au mois de juin.

Plus il est petit, plus son oeil parait immense. C'est l'encornet (Loligo vulgaris), qui a proportionnellement le plus gros oeil de toute le règne animal (St Thomas d'Aquin affirme qu'à l'image de sa perspicacité, l'oeil de Dieu est infiniment grand, mais je ne sache pas que son calcul s'applique à l'encornet).

Finalement, la pêche à l'encornet se pratique avec un appât et forme de chaussette fluorescente hérissée de clous, qu'on appelle une turlute (pour le coup, je n'ai pas demandé de précisions).

dimanche 18 octobre 2009

Brochettes de scolopendres

A peine rentrés au port, Thomas et Gabriel se sont précipités sur la boite d'appâts frais achetée le matin même: des scolopendres chinois, d'un beau rouge écarlate. Après plusieurs essais infructueux, un pêcheur leur a montré le truc: d'abord, décapiter le monstre (dont les morsures peuvent être douloureuses), puis l'empaler à l'aide d'un cure-dents avant de l'enfiler sur l'hameçon. Les dorades en raffolent.  Ce jour là, pourtant, point de poisson, mais des heures insouciantes passés à torturer des chilopodes.

samedi 17 octobre 2009

Les bateaux des autres


Fascinants, les bateaux des autres. Celui-ci vient de Rotterdam. Il est amarré quai du Pavois d'Or. J'ai dénombré sept antennes différentes. Avec son taud en aluminium, ses écrans solaires et tous les appareils qui encombrent le pont (générateur, désalinisateur, bidons et bonbonnes de service), il a réussi à se créer un univers aussi hermétiquement clos qu'un laboratoire high-tech. Toutes noires, les drisses ressemblent à des câbles électriques. Je l'imagine barrant à l'aide de moniteurs CCTV, de radars et de logiciels de navigation tout en jouant à Super Mario.

Quant à Thomas, il a jeté son dévolu sur cette nacelle traditionnelle. "C'est un bateau comme ça que je voudrais". Je pensais que le bateau du cyborg aurait plus de chances de lui plaire, mais la technologie lui importe peu: en bon pêcheur, c'est ce qu'il y a sous l'eau qui l'intéresse, pas ce qui flotte dessus.

Engoulfés

................ On était pourtant bien, à Balaruc-les-Bains! ..................

Nous avons choisi un début de tramontane pour notre première sortie en famille dans le golfe du Lion. Sur l'étang, rien ne laissait présager une mer agitée, sauf peut-etre ces cumulus aplatis, signes de forts vents à basse altitude. Autre signe, qui sans nous venir du ciel était tout aussi éloquent: nous n'étions que deux à attendre l'ouverture des ponts à la Pointe Courte. Notre voisin était un Pogo 8,50 de la base des Glénans de Marseillan. Dès que nous avons passé le môle St Louis, le vent s'est établi à F5. Fraichissant, fraichissant... 1 ris sur la grand voile. 2 heures à tirer des bords sous les murs de Sète, adossés aux filières, harnachés, engoncés dans nos brassières, Gabriel la tête collée contre le ventre de Susanna, Thomas survolté, les yeux rivés sur les mouettes qui nous font cortège. Le Mont St Clair n'offre qu'une protection illusoire: les rafales semblent l'utiliser comme un tobogan pour gagner de la vitesse. Une fois n'est pas coutume, la voilure est mal équilibrée; le bateau gîte & lofe fortement à chaque rafale, la barre est dure. La Ferrari de Fadi me revient à l'esprit. Je remets indéfiniment la prise du second ris - crétin que je suis - jusqu'à ce qu'arrivés devant la passe Est, nous décidions de rentrer au port.

Apéritif au Baratin. Après avoir descendu quatre verres de vin blanc, accompagnés de petits anchois frits, départ un peu échevelé du quai d'Alger pour ne pas rater l'ouverture des ponts: en larguant les amarres, nous avons failli larguer Susanna.

Une grand voile sans ris, sans rire

.............. Le Grand Raymond confectionne un messager ....................

Nous sommes attablés dans la cuisine de Raymond et Eliane Col, nos hôtes sur l'étang de Thau. Il y a là également un ami, président d'un club de voile voisin. Je leur décris le piteux état de notre grand-voile.

- Il vous en faut une nouvelle - on va vous arranger ça - avec une ralingue, cette fois, surtout pas de coulisseaux!
- Si vous le dites...
- Ça casse tout le temps, les coulisseaux!
- C'est bien vrai!
- Avec une ralingue, vous n'aurez plus de problèmes. Bien sûr, il faudra ranger la voile après chaque sortie...
- Ah?
- Et vous ne pourrez plus prendre de ris.
- Pas de ris?!
- Eh non! Avec la ralingue, on ne prend pas de ris.

Et s'adressant à son ami:

- Il faut être combien pour régater un First Class 10?

Il se tourne vers la baie vitrée et soupèse Ava du regard, mesurant les espars.

- Au moins quatre.
- Ouais - voire cinq. Cinq c'est mieux, conclut le maître de maison, qui se voulant rassurant, m'assène, en guise de conclusion:
- A cinq, plus besoin de prendre un ris.

Je pense aux 35 kg de Thomas et Gabriel, à la diète de Susanna... Il nous manque au moins 250 kg de lest! Au diable les choux de Bruxelles: il va falloir se mettre au shish kebab.

Propriétaire d'un chantier naval à Balaruc-les-Bains, Raymond Col est également le père de Sébastien Col, plusieurs fois champion du monde de Match Racing, vétéran de l'America's Cup et l'un des meilleurs régatiers français du moment. C'est dans les ateliers du père, une légende locale, que furent réglés, pendant de longues années, les bolides du fils. Alors évidemment, les ris de grand-voile...

Avis aux fâcheux

..................................... Quai de la Dorade ....................................

Il y a foule en face de la Pointe Courte. C'est le premier jour de tramontane de l'automne et les dorades qui ont frayé tout l'été dans l'étang vont profiter du reflux pour prendre le chemin du large. Dès 8h du matin, tout Sète est sur les quais. Il y a ceux qui pêchent et ceux qui sont venus pour le spectacle. Les lignes s'emmêlent, les invectives fusent: "Assassin! Assassin!". Coté pêcheurs, personne ne rit.

L'humour sétois consiste à laisser croire qu'on en est totalement dépourvu, le plus longtemps possible. Le premier qui se fâche pour de bon a perdu.

vendredi 16 octobre 2009

Tramontane

............................. Le Barrou au crépuscule ..................................

Elle a soufflé cinq jours d'affilée. Signes du temps à venir: crépuscule rougeoyant et altocumulus lenticulaires stationnés au-dessus des Pyrénées. Deux jours plus tard, dans le golfe du Lion, Sir Francis a atteint le neuvième degré de l'échelle qui porte son nom. Yikes!

Pour peu que la tramontane, qui souffle généralement du N-NO, ait une composante Est, les Sètois l'appellent mistral.

Une fois le régime de tramontane bien établi, le ciel se dégage - plus un nuage à l'horizon. C'est le fameux "bleu d'hiver" de Sète. Similaire au "bleu mistral", il tient généralement plus longtemps.

De l'avis général, la tramontane est navigable à condition de ne pas trop s'éloigner des côtes. Beaucoup plus inquiétant, le marin, qui vient du sud, s'accompagne d'une forte houle qui rend l'entrée des ports du Roussillon extrêmement périlleuse.

Et puis il y a le grec - vent d'est - qui avec ses nuages de pluie colle à la côte comme une véritable poisse et que tout le monde maudit.