samedi 23 octobre 2010

Nostalgie

.................. ceci n'est pas un film d'Andreï Tarkovsky ......................

C'est là que tout a commencé, pour Susanna et moi - non pas l'origine, mais le point de départ - à Puerto Olivos, sur le Rio de la Plata, en Argentine. C'est là que nous avons recommencé à faire de la voile et c'est là qu'aujourd'hui mon désir de mer me ramène, en souvenir.

Mon moniteur s'appelait Norbi - tous les samedis matins, nous le retrouvions au Yacht Club Olivos avec trois autres tripulantes, pour quatre heures de voile sur les eaux limoneuses du Rio de la Plata. Notre bateau était un dériveur de 18 pieds, de fabrication locale, appelé Alción.

Il y avait un informaticien russe, installé en Argentine depuis 15 ans, une avocate divorcée et un vieil alcoolique. J'apportais les churros au dulce de leche, l'avocate, un thermos d'eau chaude pour le maté, et notre vieil ami à la voix éraillée, le whisky - qu'il prononçait "wi-ki" - et les cigarettes, des Dunhill qu'ils fumaient avec le Russe en savourant longuement chaque bouffée comme des vieux chinois.

Comme le vent ne soufflait jamais bien fort, nous passions notre temps à discuter, en nous relayant au timón. Les Argentins sont des causeurs infatigables - ils ne lèvent jamais la voix, se prêtent facilement au jeu des confidences et mêlent un esprit taquin à un tact inné. Le souvenir de nos conversations interminables se mêle à celui des instructions de Norbi et à la jolie musique des termes de navigation espagnols: trabuchar, barlovento, baluma, gratil, pujamen...

Au cours de nos navigations, nous croisions régulièrement des îles végétales flottant sur l'immense rió, sortes d'épais matelas de branches et de fleurs qui, emportés par le courant en amont de Buenos Aires, étaient infestés de serpents.

A notre retour, Susanna m'attendait sur le quai avec les enfants et nous allions déjeuner à la parilla du port, une bicoque en tôle ondulée où nous commandions invariablement des chorizos, des bières, un Coca-cola pour Gabriel, un verre d'eau plate pour Thomas et des platées de steaks grillés que nous badigeonnions de chimichurri maison.

Il y avait au bout de la jetée un pêcheur à moitié fou - un géant sadique coiffé d'une casquette crasseuse - dont tout le plaisir consistait à éventrer les poissons à peine sortis de l'eau avec un grand couteau. Leur déjeuner terminé, les enfants couraient le rejoindre et, assis sur un muret, le regardaient faire sans mot dire, horrifiés, fascinés.